Photo : avec “The Anonymous Project”, Lee Shulman exhume la vie des autres


Depuis six ans, Lee Shulman chine et collectionne des diapositives d’amateurs d’une autre époque. Il en a fait un projet artistique qu’il présente dans le monde entier. À découvrir jusqu’au 8 octobre, à Aix-en-Provence.

Photo tirée de « The Anonymous Project ». Photo tirée de « The Anonymous Project ».

Photo tirée de « The Anonymous Project ». The Anonymous Project / Lee Shulman

Par Virginie Félix

Publié le 27 juillet 2023 à 15h46

Avec Lee Shulman, la vie a des airs d’éternel 25 décembre. Pour ce collectionneur obsessionnel, les livraisons du facteur sont comme le passage du Père Noël : la promesse de paquets-cadeaux dont l’ouverture apporte son lot de surprises émerveillées. Depuis six ans, ce Franco-Britannique s’est pris de passion pour les vieilles diapositives amatrices, qu’il chine par milliers sur eBay. Repas d’anniversaire, vacances à la mer, amoureux enlacés, bambins endimanchés… Des clichés exhumés des armoires ou des greniers, qui évoquent, en couleurs pétantes Kodachrome, une autre époque, celle de l’american way of life et des Trente Glorieuses, à travers des milliers de vies anonymes. Forant dans cette mine d’instantanés, il a bâti un projet artistique singulier, The Anonymous Project, qui rend hommage à cette mémoire vive du XXᵉ siècle avec des expos à la scénographie rétro, ludique et immersive.

Dans son studio-atelier du 10ᵉ arrondissement de Paris, des piles de diapositives attendent d’être examinées sur la table lumineuse. Les photos vintage, datant des années 1930 à 1980, l’âge d’or du film Kodachrome avec ses teintes vives et saturées, lui arrivent dans des boîtes à cigares, des valisettes métalliques, des coffrets en cuir. Le plus souvent des États-Unis ou de Grande-Bretagne où la marque américaine était largement commercialisée. « Ces petites boîtes pleines de diapos, c’est comme un disque dur vintage », s’amuse-t-il. L’œil sur son compte-fil comme l’orpailleur sur son tamis, le collectionneur au regard affûté pioche dans le tas, s’arrête sur un cadrage, une attitude, un détail cocasse et sélectionne, « à l’instinct », les images qui le touchent le plus. Elles iront enrichir le stock destiné à être mis en scène. Les autres retourneront dormir dans les milliers de boîtes stockées dans ses réserves.

Prendre quelqu’un en photo, c’est comme lui dire qu’on l’aime.

Les chiffres donnent le vertige : en six ans, Lee Shulman a amassé plus de 900 000 photos. La plus grande collection au monde de diapositives amatr. 28 000 ont déjà été utilisées pour la quarantaine d’expositions qu’il a orchestrées dans le monde entier. Elles nourrissent aussi la dizaine de livres qu’il a publiés, parfois avec la collaboration d’écrivains ou d’artistes (Arnaud Cathrine, Justine Lévy, Vincent Delerm), accolant leurs mots aux photos d’anonymes. Formé dans une école de cinéma londonienne, réalisateur de clips, de pubs et de courts métrages, Lee Shulman le « faiseur d’images » s’est inventé un nouveau métier : révélateur de la vie des autres. À la fois curateur, directeur artistique et raconteur d’histoires, capable de transformer un matériau brut, rétro et poussiéreux en un objet artistique contemporain, dont la matière vivante et colorée séduit le grand public par sa force esthétique autant que nostalgique.

Lee Shulman dans les bureaux de l'Anonymous Project, dans le 10e arrondissement de Paris. Lee Shulman dans les bureaux de l'Anonymous Project, dans le 10e arrondissement de Paris.

Lee Shulman dans les bureaux de l’Anonymous Project, dans le 10e arrondissement de Paris. Ed Alcock / MYOP pour Télérama

C’est en redécouvrant les diapositives de sa propre enfance qu’a surgi cette passion dévorante. Parce qu’un jour de 2017 son père, qui vidait la maison familiale en Angleterre, lui a expédié des boîtes pleines des photos de sa jeunesse. Sous le charme des couleurs à la modernité éclatante, il s’est alors hasardé à taper le mot-clé « vintage slides » sur eBay. Découvrant soudain un puits sans fond de lots à vendre. Au début, l’accumulation s’est faite pour le seul plaisir de ses yeux. Jusqu’à ce qu’il partage ses trouvailles sur Instagram. « Des magazines américains m’ont très vite contacté en me demandant qui était le photographe derrière ces magnifiques clichés. Je leur disais : mais c’est tout le monde ! Ils ne comprenaient pas que ce puisse être des images amatrr. Ils croyaient aussi que je colorisais les images… »

Tout a basculé avec une exposition aux Rencontres d’Arles, en 2019, où Lee Shulman investit, avec ses diapos, une maison décatie, qu’il rhabille de papier peint des années 1950 et de meubles en Formica. Succès public et début d’un vif engouement pour cet univers singulier. Depuis, Lee Shulman a promené The Anonymous Project, et ses scénographies constamment renouvelées, de Paris à Séoul, de Deauville à Londres. Il a aussi signé un livre et une expo avec Martin Parr, s’amusant des similitudes entre l’esthétique des clichés amateurs et celle du grand photographe anglais. Cet été, il investit les neuf étages du building de l’Institut français de New York, portes des ascenseurs comprises. Mais également les plafonds à moulures de l’hôtel de Gallifet, à Aix-en-Provence, avec des mosaïques de diapos aux teintes rouges, vertes ou jaunes, éclairées comme des vitraux, et des empilements de téléviseurs des années 1960.

PPhoto tirée de « The Anonymous Project ». PPhoto tirée de « The Anonymous Project ».

PPhoto tirée de « The Anonymous Project ». The Anonymous Project / Lee Shulman

Photo tirée de « The Anonymous Project ». Photo tirée de « The Anonymous Project ».

Photo tirée de « The Anonymous Project ». The Anonymous Project / Lee Shulman

Photo tirée de « The Anonymous Project ». Photo tirée de « The Anonymous Project ».

Photo tirée de « The Anonymous Project ». The Anonymous Project / Lee Shulman

À l’heure du numérique, cet univers délicieusement rétro télescope évidemment le goût de l’époque, son appétit pour les friperies, les meubles vintage et les disques vinyles. « Mes plus grands fans, ce sont les 18-20 ans, qui arrivent dans mes expos avec leur skate sous le bras. Ils ne viennent pas par nostalgie mais parce qu’ils aiment l’esthétique de ces clichés qui ont un grain différent. Ils trouvent ça ludique et fun. D’autres spectateurs ont une approche plus tendre, émotionnelle. Face à ces images, chacun peut trouver sa propre porte d’entrée. »

Le collectionneur, lui, se dit sensible à l’amour qui se dégage de ces diapos : « Prendre quelqu’un en photo, c’est comme lui dire qu’on l’aime. Ça se sent dans ces images, dans le regard de celui qui est photographié. C’est vraiment propre à la photo d’amateurs, il n’y a pas la même relation entre un photographe professionnel et son sujet. » Si, par nature, ces instantanés immortalisent surtout des moments joyeux, Lee Shulman aime s’amuser à débusquer dans les chromos du bonheur familial l’élément perturbateur, « le garçon qui fait la grimace ». « Derrière les sourires, on devine d’autres histoires. »

Il sait peu de choses de ces visages anonymes, de ces bribes de vies figées sur pellicule. Parfois, une date, un prénom, un lieu écrit au stylo sur le cache de la diapo. « Florida », « Summer 1959 », « Matt, David and Grany » « Mais souvent, je laisse mon imagination leur donner un nom. Celle-ci, dit-il en extrayant un coffret de ses archives, je l’appelle “The Box of Love” car ce sont les photos d’un couple très amoureux, qui n’a pas eu d’enfants. Ils sont d’une élégance incroyable, et on les voit s’embrasser de manière très intime parce qu’ils utilisaient un retardateur – c’étaient les premiers selfies ! »

Pour les dates, c’est le cache de la diapositive qui sert de carbone 14, avec sa typographie et sa forme qui ont évolué au fil des décennies. Une seule boîte renferme parfois les images de toute une vie, rappelant que dans cette préhistoire d’avant la frénésie du numérique, la photo, rare et chère, était pratiquée avec économie. « C’est assez tendre de voir, année après année, des enfants grandir, devenir parents, ou un adolescent très propre sur lui laisser ses cheveux pousser et devenir peu à peu hippie. À chaque fois, c’est comme si je plongeais dans l’image et qu’elle me racontait une histoire. »

Photo tirée de « The Anonymous Project ». Photo tirée de « The Anonymous Project ».

Photo tirée de « The Anonymous Project ». The Anonymous Project / Lee Shulman

Photo tirée de « The Anonymous Project ». Photo tirée de « The Anonymous Project ».

Photo tirée de « The Anonymous Project ». The Anonymous Project / Lee Shulman

Parfois, dans ses expositions, Lee Shulman glisse discrètement des photos de sa propre vie. Lui seul le sait. « Mon histoire familiale est très triste, je viens d’une famille juive ashkénaze d’Europe centrale décimée par la Shoah. J’ai vécu ça comme un poids quand j’étais jeune. Avec ces images, je me bats pour la beauté de la vie. » Derrière la légèreté et l’esthétique rétro, un idéal politique ? « Avec ces photos qui parlent à chacun partout où je les expose, des États-Unis à la Corée, j’ai envie, même si c’est un peu utopique, de faire passer le message qu’on est une grande famille. Parfois, quand j’ai un peu le blues, je m’assois à ma table lumineuse, je regarde ces images et je respire l’humanité. »

« Reflets – The Anonymous Project », jusqu’au 8 octobre, Gallifet Centre d’art, Aix-en-Provence (13). Tous les jours sauf le lundi, de 12h à 18h, et les jeudis, vendredis et samedis soir. Entrée : 6 €. Tarif réduit : 4 €.

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