Célèbre outre-Manche dans le milieu de la musique pour ses photos de Bob Marley et des Sex Pistols, Dennis Morris a aussi immortalisé la vie de la communauté jamaïcaine de son quartier londonien dans les années 70. Ses clichés sont exposés à la Galerie Agnès b. à Paris jusqu’au 14 janvier 2024.
Publié le 23/12/2023 10:10
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Dennis Morris est un photographe britannique connu du monde de la musique, en particulier pour ses clichés de Bob Marley et des Sex Pistols, auxquels il a consacré un livre (Sex Pistols : Anthology). En tant que directeur artistique du label Island, il a aussi réalisé des pochettes de disque légendaires, comme celle du premier album de Public Image Limited, dont il a également conçu le logo et le packaging innovant du fameux Metal Box. À son actif aussi les pochettes de Broken English de Marianne Faithfull et du Live ! (at the lyceum) de Bob Marley & The Wailers.
Né à Kingston (Jamaïque) en 1960 et venu enfant vivre à Londres avec sa mère, au moment où la Grande-Bretagne avait besoin de bras pour se reconstruire, Dennis Morris s’est passionné très tôt pour la photographie. Dès l’âge de huit ans il découvre la magie de la chambre noire et du révélateur, grâce au club photo de la paroisse de son quartier de Dalston (Hackney, Nord-Est de Londres).
À onze ans, il vend sa première photo à la presse, celle d’une manifestation pro-OLP. En 1973, il va attendre Bob Marley devant le Speakeasy Club de Londres, où il se produit. Sans doute touché par la détermination du jeune Jamaïcain, le pape du reggae accepte non seulement qu’il le prenne en photo mais il l’embarque pour le reste de la tournée. Elle ne durera que quelques jours mais Dennis Morris a treize ans et son amitié professionnelle avec Marley ne fait que commencer.
Durant toutes les années 70, équipé d’un petit Leica qui sait se faire oublier, Dennis Morris se fait la main en documentant son environnement, sa communauté, son quartier, et les soirées musicales dub (qu’il appelle les « blues parties ») qui battent leur plein chaque week-end. Il réalise également des portraits bon marché dans sa chambre, devant un drap tendu, pour ceux qui souhaitent les envoyer à leurs proches restés au pays. Longtemps, ces témoignages photographiques de la vie de la diaspora caribéenne du Nord-Est londonien ne rencontrent qu’indifférence. Personne n’en veut. Aujourd’hui, il les expose avec succès.
L’exposition Colored Black, présentée d’abord en avril 2023 à Kyotographie (à Kyoto, au Japon), est visible à la Galerie du Jour Agnès b. jusqu’au 14 janvier 2024. Bien qu’un peu courte (à peine une quarantaine de tirages) et plutôt maigre en cartels explicatifs, elle comprend cependant une réjouissante installation « immersive » qui reproduit un salon typique de la communauté caribéenne du Royaume-Uni à cette époque, avec papier peint, canapé, fleurs artificielles et phonographe vintage, ainsi qu’un mur d’enceintes de sound system.
En attendant une rétrospective à la mesure de son travail, elle est l’occasion de présenter Dennis Morris et ses souvenirs, empruntés au catalogue de l’exposition (en vente à la galerie Agnès b.). Des souvenirs qui font écho à ceux du formidable roman Fire Rush de Jacqueline Crooks sorti en France cette année, mais aussi à la remarquable série Small Axe de Steve McQueen (le réalisateur britannique, pas l’acteur), diffusée en 2020 sur Salto, qui se rejoignent sur l’histoire oubliée de l’Angleterre noire.
« Lorsque les premiers immigrants sont arrivés des Caraïbes en Angleterre, ils ont fait face à de multiples difficultés ; l’une d’elles était le logement. Il était difficile d’en trouver, beaucoup de propriétaires rechignant à louer des chambres à des Noirs. On trouvait des panneaux disant : chambres à louer, pas de noirs, pas d’Irlandais, pas de chiens« , se souvient Dennis Morris dans le catalogue de l’exposition. Les logements qu’ils parvenaient à louer étaient souvent très exigus, séparés par des rideaux, avec toilettes et cuisine partagées.
« Plus tard, certains Caribéens ont pu acheter leurs propres logements. Les salons de ces intérieurs étaient comme des temples. Les enfants n’y avaient pas accès, sauf en cas de visite. Parfois, le canapé restait recouvert de plastique. »
« J’étais connu dans le quartier pour être bon photographe et bon marché ; j’avais donc un flot de gens qui venaient dans le minuscule appartement que ma mère et moi habitions. Je poussais les meubles sur le côté, j’épinglais un drap blanc au mur et, avec une lampe au tungstène empruntée au club photo, un studio était né. Pour moi, c’était un moyen de perfectionner ma technique et, surtout, d’acheter des pellicules et d’économiser pour acheter du matériel. »
Les soirées musicales, qui duraient du vendredi à 22h jusqu’au lendemain à 8h, « étaient vitales pour la communauté » caribéenne de Londres, se souvient Dennis Morris dans le catalogue de l’exposition. « Le samedi, tout le monde s’habillait pour impressionner : mohair et costumes bicolores, minijupes et coupes Afro. »
Le samedi, le magasin de disques de Trojan sur Ridley Road était plein de gens écoutant les dernières sorties et choisissant à quel sound system ils allaient se rendre. « Toutes les soirées se déroulaient dans les sous-sols des maisons. » Les entrées payantes (entre 10 et 20 shillings), mais aussi les boissons et les curry de chèvre servis sur place, aidaient les heureux propriétaires à rembourser leurs prêts.
Dans ces soirées, certaines règles devaient être respectées, sous peine de déclencher une bagarre générale : « Ne jamais marcher sur les chaussures d’un homme, ne jamais demander une danse à la petite amie d’un autre et ne jamais remettre en question la musique décidée par le DJ et le Selecta du sound system.«
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