Didier Reynders : ”La présidence du Conseil de l’UE, c’est comme du patinage artistique, il y a des figures imposées et un volet libre”

Quelle est encore l’importance d’une présidence tournante aujourd’hui, avec un nouveau pays à la tête du Conseil tous les six mois ? D’autant que le Conseil européen a un président permanent en la personne de Charles Michel, et le Conseil Affaires étrangères est présidé par le Haut représentant ?

Occuper la présidence du Conseil a pour effet que toutes les structures politiques, administratives, et mêmes associatives d’un État membre sont davantage imprégnées du débat européen et de son importance. Quand on occupe la présidence, on doit de se mobiliser davantage. Cela crée une génération de politiques et de fonctionnaires qui ont l’obligation d’entrer vraiment dans le détail des dossiers européens, de s’occuper de forger des compromis entre tous les États membres, avec le Parlement européen…

La deuxième chose qui est importante, c’est la manière de présenter l’Europe dans les vingt-sept États membres. Il y a des réunions informelles qui se tiennent dans le pays qui occupe la présidence ; c’est l’occasion d’attirer l’attention beaucoup plus fortement encore sur l’Europe. C’est peut-être un peu moins nécessaire dans le cas belge, parce que les institutions européennes sont à Bruxelles, même si on constate quand même une certaine effervescence autour de la présidence. L’intérêt de la presse pour l’Europe va être beaucoup plus important pendant la présidence et il y aura des événements qui auront lieu en Belgique ailleurs qu’à Bruxelles.

La Belgique va concentrer sa présidence européenne sur trois objectifs : protéger, renforcer, préparer l’avenir

Vous étiez déjà ministre des Finances depuis deux ans lors de la présidence de 2001 et vous connaissiez déjà le fonctionnement du Conseil “Ecofin”. Y a-t-il des choses qui vous ont étonné lorsque vous en avez pris la présidence ?

J’étais déjà en fonction depuis juillet 99. Pour montrer l’importance des réunions européennes, je me rappelle qu’on on a prêté serment en juillet cette année-là, qu’on a fait la photo de famille du gouvernement au Parlement et qu’on avait un Conseil des ministres. Mais au lieu d’aller au 16 rue de la Loi, moi j’étais déjà au Conseil Ecofin, parce qu’on avait fait comprendre que c’était mieux d’y être présent. Les ministres des Finances, c’est un club. Ce sont des réunions tous les mois, au minimum, l’Eurogroupe et l’Ecofin, donc deux jours de suite souvent, et puis il y a d’autres réunions internationales où les mêmes ministres se retrouvent. Donc, j’avais peut-être moins de surprise que pour des collègues qui étaient entrés au gouvernement en même temps que moi.

Ce qui surprend positivement, quand on prend la présidence, c’est le soutien dont on bénéficie de la part des institutions européennes. La relation avec la Commission est beaucoup plus directe, ce qui permet d’avoir une meilleure vue sur la manière dont les dossiers vont se préparer. Il y a aussi un appui important du secrétariat du Conseil. C’est utile parce que ça va depuis des aspects très pratiques et logistiques, jusqu’au soutien concernant des problèmes de fond, des questions juridiques… Mais si on veut le faire sérieusement, il faut se rendre compte aussi que c’est une vraie activité. Et je peux comprendre que dans certains Conseils, ça, ça mange une part importante de ce qui aurait dû être normalement l’activité nationale.

BRU06 - 20011214 - BRUSSELS, BELGIUM: Belgian Finance Minister Didier Reynders poses with some Euros prior to the European Ecofin Summit, closure of the Belgian EU Presidency, Friday 14 December 2001, at the Royal Castle of Laeken.
BELGA PHOTO ETIENNE ANSOTTE
Le ministre belge des Finances Didier Reynders pose avec des billet en euros, juste avant le sommet de Laeken, qui clôturait la présidence belge, le 14 décembre 2001. La monnaie unique européenne sera mise en circulation le 1er janvier 2002.

En 2001, la Belgique assure la présidence du Conseil des ministres de l’UE, mais aussi, à l’époque, celle du Conseil européen, l’institution qui fixe les orientations politiques de l’Union, aujourd’hui dotée d’un président permanent. Qu’est-ce que ça change par rapport à la présidence de 2010 et celle qui va s’ouvrir ?

Ce qui change, c’est l’obligation de gérer des événements exceptionnels. L’exemple le plus clair, c’est le 11 septembre. Sur le volet des finances, il a fallu, très vite, se mobiliser et les finances étaient en première ligne. Wall Street était par terre, il fallait quand même que la banque centrale et d’autres acteurs soutiennent le fonctionnement du système américain pendant les premiers jours. On a été tout de suite sur place, tout cela étant fait en relais très fort avec le Premier ministre d’alors, Guy Verhofstadt.

Sinon, occuper la présidence permet surtout de gérer et d’organiser l’agenda. On était encore dans une époque où on avait beaucoup de Conseils informels organisés à travers le pays qui occupait la présidence. J’avais la charge de la préparation de l’introduction des pièces et des billets en euro. Nous avons organisé à Gand un sommet informel où j’ai eu l’occasion de présenter en réunion l’état d’avancement de la préparation de l’euro. Et puis, ça a été le sommet au château de Laeken. Et là, le fait d’avoir la présidence du Conseil européen fait que le Premier ministre peut évidemment lancer une démarche.

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Je reste convaincu, que pour la présidence qui s’ouvre, il faut d’une manière ou d’une autre intégrer cette dimension royale, c’est à dire l’utilisation des lieux et d’une manière ou d’une autre, la participation du Roi à la période de six mois. Il ne va pas prendre part aux discussions autour de la table mais il faudrait qu’on le voie.

Le sommet de Laeken a été un moment important de la construction européenne. L’ambition de Guy Verhofstadt en 2001 était d’amener l’Union à franchir un grand pas vers plus d’intégration ?

Guy Verhofstadt avait des ambitions très, très fortes – on connaît ses écrits et ses propositions sur la construction européenne. La personnalité d’un Premier ministre jouait beaucoup dans la présidence du Conseil européen. Ça a notamment permis l’adoption la déclaration de Laeken et le lancement de la Convention sur l’avenir de l’Europe [qui a abouti à la rédaction du traité constitutionnel, rejeté par les Français puis les Néerlandais en 2005, puis adapté pour devenir le traité de Lisbonne, en vigueur depuis décembre 2009, NdlR]. On revit ça un peu maintenant, parce que malgré la présidence permanente du Conseil européen, je vois que la plupart des chefs d’État et de gouvernement veulent donner à l’action un accent national à travers leur présence, même s’ils ne président pas l’événement.

Le fonctionnement de l'UE
Le fonctionnement de l’UE ©Didier Lorge

En 2010, le contexte est différent. L’Europe doit déjà faire face à une crise financière et la crise de la dette souveraine s’annonce. Qu’est-ce que vous gardez comme souvenir de cette présidence ? Sentiez-vous une préoccupation européenne du fait qu’elle soit, de plus, exercée par un gouvernement en affaires courantes ?

Il n’y a pas eu beaucoup d’inquiétude de la part des collègues, sur la manière dont on allait pouvoir s’occuper de la présidence. Pour plusieurs raisons : la première, c’est la longue tradition belge de présider le Conseil, avec aussi des administrations. La deuxième raison est j’avais dû jouer un rôle de premier plan dans la crise. La Belgique a été un des premiers pays secoués, avec Fortis puis avec Dexia… Je recevais mes collègues, on a travaillé avec Jean-Claude Trichet, qui dirigeait la Banque centrale à l’époque, avec Christine Lagarde pour la France, Jean-Claude Juncker [Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe, NdlR]… Enfin, la troisième raison est que la présidence allait s’ouvrir sur la mise en œuvre d’un certain nombre d’éléments qui découlaient de la crise, comme les autorités de surveillance des marchés financiers.

Ce que j’ai encore retenu, surtout parce qu’on entrait dans l’application des nouveaux traités, c’est qu’on a démarré des trilogues [Conseil-Parlement-Commission, pour dégager un accord sur une législation, NdlR] pratiquement le 1ᵉʳ juillet, aux premiers jours de la présidence. Normalement, on a d’abord un long débat entre États membres pour dégager une approche générale du Conseil. Le Parlement fixe sa position et puis seulement, on commence le trilogue. J’avais insisté sur le fait qu’il fallait négocier tout de suite des dossiers très lourds et ne pas se lancer dans de longs débats dans chaque domaine. C’était aussi, au niveau des finances, le début du vote à la majorité qualifiée, ce qui a pu surprendre des États qui votaient contre un texte puis constataient qu’il était quand même adopté. C’étaient de grandes évolutions.

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EU economic and monetary affairs commissioner Olli Rehn (L), Belgian Finance Minister Didier Reynders (C) and EU internal markets commissioner Michel Barnier give a press on September 7, 2010 after an Economic and Financial Affairs Council meeting at EU headquarters in Brussels. European Union finance ministers endorsed on September 7 a compromise deal to create pan-European supervisors to oversee banks, insurers and markets as a way of preventing a new financial crisis. AFP PHOTO / JOHN THYS (Photo by JOHN THYS / AFP)
Le ministre belge des Finances Didier Reynders, entouré du commissaire aux Affaires économiques et monétaires Olli Rehn (à gauche) et du commissaire au Marché intérieur, Michel Barnier, lors de la conférence de presse de clôture de la réunion Ecofin du 7 septembre 2010, sous présidence belge.

Vous êtes président de l’Ecofin aux premiers moments de crise grecque, premier épisode de la crise des dettes souveraines….

Suivent l’Irlande et le Portugal, si je me souviens bien. En novembre, j’étais invité pour la Belgique à aller sonner la cloche à Wall Street, comme chaque fois qu’il a une introduction belge importante. Quand j’ai atterri à New York, j’avais un message de Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, me demandant de réunir l’Ecofin et donc de venir gérer la crise des dettes souveraines. J’ai quitté l’aéroport de JFK pour aller dans le bas de New York installer mon épouse à l’hôtel, prendre un café et repartir trois heures plus tard. Si j’avais été un “simple” membre de l’Ecofin, je serai sans doute resté à New York plutôt que de rentrer d’urgence, mais en tant que président, je devais être à Bruxelles.

Je compare, un peu en boutade, la présidence du Conseil au patinage artistique. La présidence doit faire une série de choses, ce sont les figures imposées. L’épreuve libre, ce que la présidence amène elle-même en poussant ses priorités, en mettant l’accent sur tel événement, tel ou tel secteur. Et il y a un troisième volet qui est l’inattendu et qui peut partir dans tous les sens, en général plutôt un événement négatif : les attentats terroristes du 11 septembre 2001, puis ceux de 2015 et 2016 à Paris et à Bruxelles, la crise bancaire, la crise des dettes souveraines, la pandémie, une guerre…

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