Paris Photo à l’épreuve de l’intelligence artificielle : la fin de la photographie

Du 9 au 12 novembre, au Grand Palais Éphémère se tient Paris Photo. Pour sa 26e édition, 133 galeries sont présentes et plus de 800 artistes exposés. Un secteur attire tous les regards : la photographie à l’épreuve des nouvelles technologies.

Florence Bourgeois, directrice de Paris Photo le dit : « Il faut explorer l’évolution de la photographie, à la frontière de l’art et de la technologie ». Parcourir les allées et les galeries de Paris Photo permet de découvrir l’ampleur du phénomène. Ce sont les neuf galeries regroupées au sein du secteur digital qui nous permettent de découvrir ces œuvres où la machine, la digitalisation et l’œil humain ont travaillé ensemble. Visite guidée sans l’aide de l’intelligence artificielle (IA).

Pour comprendre les enjeux de l’IA dans le monde de la photo, revenons au printemps dernier. Boris Eldagsen est un photographe allemand professionnel depuis 30 ans et en 2023, il présente ce cliché, Pseudomnesia: The Electrician chez Photo Edition Berlin. Deux femmes, proches, intimes, le regard perdu, des teintes sépia. L’image est splendide et remporte le prestigieux Sony World Photography Awards. Supercherie volontaire pour faire naître le débat, ce n’est pas une photographie, mais une image créée par l’IA. L’artiste dévoile le procédé et décline le prix.

"The Electrician, Edition: 7", une photographie générée par l'IA créée par Boris Eldagsen. (BORIS ELDAGSEN) "The Electrician, Edition: 7", une photographie générée par l'IA créée par Boris Eldagsen. (BORIS ELDAGSEN)

Il déclare avec humour : « J’ai postulé au Sony World Photography Awards 2023, comme un effronté, pour savoir si les compétitions internationales de photographie sont prêtes pour les images produites par l’intelligence artificielle. Ce n’est pas le cas. » Et il rajoute plus sérieusement : « Nous, dans le monde de la photo, nous avons besoin d’une discussion ouverte. Une discussion sur ce que nous voulons considérer comme la photographie et ce qui ne l’est pas. Le parapluie de la photographie est-il assez grand pour inviter les images de l’IA à entrer ; ou serait-ce une erreur ? Avec mon refus de ce prix prestigieux, je vise à accélérer ce débat. » À Paris Photo, le débat se poursuit.

Si l’usage de l’IA inquiète les photographes de presse, car elle peut créer si facilement des fake news de plus en plus indiscernables, chez les artistes, les algorithmes et les logiciels sont depuis longtemps des partenaires particuliers. « Ce n’est pas quelque chose qui est nouveau, il y a déjà des œuvres des années 60 qui utilisaient la technologie digitale », nous déclare Anna Planas, la directrice artistique de la foire. Mais le développement actuel, le bond de la technologie et l’appétit des galeries ont poussé Paris Photo à offrir à ce secteur un corner spécifique. 

En nous rendant avec elle à la Galerie Nagel Draxler, une galerie allemande, elle nous explique que si l’IA peut être dangereuse, les artistes se montrent plus astucieux. « Les artistes utilisent différentes stratégies, ils en connaissent les dangers, certains nourrissent l’IA avec des images qui leur appartiennent, d’autres jouent avec des archives, certains avec d’images récoltées sur internet. » Et c’est en effet dans cette galerie que l’un des exemples le plus séduisant de ce jeu entre art et technologie peut s’admirer.

Kevin Abosch, âgé d’une cinquantaine d’années, est un Irlandais qui vit à Paris. Il vient de la photographie classique et depuis quelques années, il travaille sur les blockchains et les algorithmes d’apprentissage automatique. Il nourrit « la bête technologique » avec ses propres images. Le résultat : de grands formats, aux teintes proches de la peinture, aux atmosphères inquiétantes et au tirage soigné. Le ressenti : qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Face à ce ciel rempli de drones de surveillance, le visiteur s’interroge.

"Sky Patrol Over Los Angeles", 2023. (KEVIN ABOSCH) "Sky Patrol Over Los Angeles", 2023. (KEVIN ABOSCH)

L’IA avec l’artiste, l’artiste avec l’IA ont produit une scène de science-fiction, à moins que cela soit un reflet de la société actuelle. Allez savoir ! Maja Funke, la directrice de la galerie, nous dit : « Kevin Abosch a une vision politique de son travail. » Elle rajoute la vision pédagogique de ces images : « C’est important que les artistes utilisent les nouveaux outils pour que l’œil des visiteurs soit entraîné et que nous puissions voir, analyser ce que créent l’IA et les artistes. » En effet, il reste toujours un défaut, une erreur, un accident de la machine qui pour l’artiste est source de création. Là où la fabrication d’image est dangereuse dans l’information, dans l’art, elle, devient poétique.

De l’autre côté de la cimaise, la Galerie laCollection présente une approche plus cinématographique, plus romanesque de l’usage du digital. LaCollection est une galerie-plateforme parisienne, sans local, spécialisée dans les process de création digitale. Aleksandra Art, la bien nommée, propose une série de portraits.

"Self Portrait Edition", auto-portrait créé par Aleksandra Art, NFT créé sur Ethereum Blockchain. (ALEKSANDRA ART / LACOLLECTION) "Self Portrait Edition", auto-portrait créé par Aleksandra Art, NFT créé sur Ethereum Blockchain. (ALEKSANDRA ART / LACOLLECTION)

Cet autoportrait fait partie de la série Web3 People, inspiré de l’univers de Wes Anderson. Il se présente comme un voyage, mais non dans un palais oriental, meublé de joyaux coloniaux sur un sol à damiers, mais dans les entrailles de la machine. Pour cette jeune artiste ukrainienne, l’IA est une assistante, une collaboratrice. « Je pense que I’IA étend ma capacité à expérimenter. En une journée, je peux voyager à travers le monde et essayer des centaines de fonds différents, mais aussi imaginer des choses qui n’existent pas, comme des humanoïdes. C’est un exemple plus traditionnel de mon travail, mais j’ai d’autres œuvres où se trouvent des animaux qui n’existent pas. Tu peux être aussi fou que tu le veux. »

Nhu Xuan Hua est une artiste française dont la famille vietnamienne s’est exilée en France. Elle parle déjà de nostalgie avec le numérique, la postproduction digitale, en souvenir de ces années lycée où elle commençait à triturer les images sur Photoshop ou des logiciels analogues. Pour cette série, avec l’aide de l’ordinateur, elle vide, elle creuse les images d’archives de sa famille, des images du bonheur d’antan.

"Les oubliées - Archive from year 70", œuvre présentée par la Galerie Anne-Laure Buffard (Paris). (NHU XUAN HUA) "Les oubliées - Archive from year 70", œuvre présentée par la Galerie Anne-Laure Buffard (Paris). (NHU XUAN HUA)

Elle parle des « défauts du souvenir ». « Je vois le rapport poétique, la manière dont on peut dénaturer les choses d’une image via une machine, c’est une extension du pinceau. L’algorithme du logiciel me permet de remplir le vide, et mon questionnement personnel est de remplir les trous de mon histoire (l’exil). Ainsi cela fait écho et je fabrique de nouveaux souvenirs avec la machine ». Le résultat ici aussi est une image étrange et fascinante, un nouvel album de famille en grand format de l’artiste. Une image mentale exposée dans la galerie Anne-Laure Buffard qui s’apprête à ouvrir un nouveau lieu d’exposition dans le 3e arrondissement de Paris.

Dernier arrêt au stand de l’Avant Galerie Vossen. Et dans la galerie de Caroline Vossen, point de verbiage technico-numérique ou de Web3 au menu. C’est accueilli par le bon mot : « Ici, le numérique, c’est les bisous » que le visiteur découvre les œuvres d’Albertine Meunier et de u2p050, studio de création « à la croisée de l’art, de la philo et de la technologie ». Ils sont tous les deux, pourtant, des artistes du numérique reconnus et prestigieux. Leur choix : alimenter leurs machines pour confectionner de manière parodique des images qui racontent ce moment trouble où « plus personne ne pourra différencier, distinguer les photos pour de vrai ou celles de l’IA ».

"Donald Trump", œuvre du studio u2p050 présentée à Paris Photo. (U2P050) "Donald Trump", œuvre du studio u2p050 présentée à Paris Photo. (U2P050)

Ceux qui se déclarent « machine-entreprise artistique » rajoutent : « On a pris le parti de jouer avec des personnalités politiques, on les met en scène à se faire des bisous : c’est impossible, irréalisable, mais cela parait si vrai. » Le but : démontrer l’absurdité et la parodie permet aux gens de rentrer en contact avec ces images. « Une manière ludique et pas angoissante. » Poésie, romanesque, humour ou message politique, l’IA à Paris Photo apparaît comme une complice de ces photographes, un outil sûrement dangereux, mais qui, utilisé avec habileté, produit des œuvres remarquables.

Paris Photo du 9 au 12 novembre 2023 – Entrée de 30 à 50 euros – Le Grand Palais Éphémère – 2 place Joffre, 75007 Paris

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