PORTRAIT – En collectionnant les photos de morts, l’artiste Hervé Bohnert préserve « un pan d’histoire humaine »

Photographier les morts : à une période où l’on a plutôt tendance à occulter la fin, cette pratique peut paraître dérangeante. Elle était pourtant très répandue, dès les débuts de la photographie au milieu du XIXe siècle et jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Il était alors courant de prendre en photo les personnes décédées : des personnalités, comme le célèbre portrait de Victor Hugo, mais aussi les membres de sa famille, avant qu’ils ne soient enterrés. Ce sont ces clichés intimes que l’Alsacien Hervé Bohnert collectionne et expose, du 30 octobre au 14 décembre, à la librairie parisienne Alain Brieux, dans le cadre du festival PhotoSaintGermain.

, PORTRAIT – En collectionnant les photos de morts, l’artiste Hervé Bohnert préserve « un pan d’histoire humaine »

Pour Hervé Bohnert, tout a commencé il y a trente ans, sur un marché aux puces de son village de Wasselonne dans le Bas-Rhin. Dans une boîte de photos anciennes, il découvre un cliché « très, très étrange », l’image d’une femme décédée, allongée dans une sorte de landau, au cœur d’un salon bourgeois, survolée par une colombe aux ailes déployées, « comme une âme prenant son envol ». C’est le point de départ de sa collection, qui compte aujourd’hui plus de 600 images. Une cinquantaine sont exposées à Paris.

Tous les âges, de l’aïeul au bébé

Le collectionneur arpente donc les vide-greniers en Alsace où il trouve, dans des séries de clichés familiaux, d’autres photos post-mortem, datant de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle. « Dans une vie », explique Hervé Bohnert, « il y avait huit, dix photos. On partait de la naissance, le baptême, la communion, la photo de groupe d’école, le mariage et le décès ». Tous les âges sont représentés, y compris les enfants et les bébés. « Dans chaque famille, malheureusement, il y avait eu un ou deux décès d’enfant, avant l’évolution de la médecine ». « Le fait d’avoir réuni ces photos, ça marque une époque », ajoute-t-il.

Photo posthume réalisée vers 1930, photographe non identifié.
Photo posthume réalisée vers 1930, photographe non identifié.Hervé Bohnert

Philippe Baudouin, commissaire de l’exposition, rappelle qu’au moment où ces photos commencent à se développer, « l’expérience de la mort est vécue au quotidien, l’espérance de vie est limitée, guerres et épidémies font rage ». La photo du mort permet tout simplement de garder le souvenir de l’être cher, qu’elle soit conservée dans un médaillon, envoyée aux proches, exposée dans la maison ou rangée dans un album.

Au début, seules des familles fortunées peuvent faire appel à des photographes professionnels, puis l’outil se démocratise et les prises de vue se diversifient. Ce n’est pas seulement la personne disparue qui est représentée : on voit des parents poser avec un enfant décédé dans les bras, une famille, voire toute une communauté, entourer un cercueil.

Toute une famille autour du défunt avant son inhumation. Photographe non identifié, vers 1930.
Toute une famille autour du défunt avant son inhumation. Photographe non identifié, vers 1930.Collection Hervé Bohnert

Dans ces photos, on retrouve donc des hommes ou des femmes apprêtés, presque « endimanchés », installés dans un cercueil, sur leur lit de mort, parfois un canapé ou une chaise longue. Ensevelis sous les fleurs ou au contraire dans un dépouillement strict, ils semblent dormir. Les photos des enfants dans les bras de leur mère sont émouvantes.

« La photographie post-mortem permet aux parents de supporter le processus du deuil », avance Philippe Baudouin dans le catalogue de l’exposition, « elle devient ainsi l’objet d’une transition par l’intermédiaire duquel la mort peut enfin être acceptée ». Les photos de groupe, en revanche, peuvent se montrer cocasses. « On se demande si tout le village n’a pas été invité à poser pour l’occasion », remarque Hervé Bohnert, à propos d’une image venue de Russie.

Des photos achetées sur les marchés ou sur internet

Sur les marchés aux puces, Hervé Bohnert achetait ses premières photos 2 à 3 francs, mais ces clichés post-mortem sont désormais convoités. Ils sont passés à 10, voire une centaine d’euros et jusqu’à 1.000 euros pour des daguerréotypes, la première technique photographique. Le collectionneur participe à des ventes aux enchères sur internet pour acquérir des images en Belgique ou en Espagne, en Angleterre ou aux États-Unis, en Russie, en Pologne ou au Mexique.

« Heureusement que j’ai pu récupérer ces images », raconte Hervé Bohnert, « ça a sauvé un patrimoine. Sinon, toutes ces photos seraient parties en déchetterie. Ça marque une page de notre histoire ». Le collectionneur a évité la décharge à ces « photos orphelines » et tant pis si certains regardent sa passion d’un drôle d’œil : « Si je m’étais arrêté à ce que les gens pensent, je n’aurais pas de collection du tout. Heureusement que j’ai eu cet état d’esprit à l’époque, parce que maintenant, on vient chez moi pour pouvoir la montrer et j’en suis super content. Mais je n’ai pas acheté ces photos en pensant à ça. Il n’y avait pas de regard morbide ou quoi que ce soit. Je trouvais que c’était de très belles photos et que c’était un bel hommage aux morts ».

La pratique des photos funéraires a quasiment disparu mais réapparaitrait sous une nouvelle forme, grâce aux téléphones portables. Les photos collectionnées par Hervé Bohnert témoignent en tout cas d’une époque où la mort était moins taboue, alors que nous évoluons aujourd’hui dans « un monde où l’on pense qu’on ne va jamais mourir ». Lui vit au contraire entouré par l’image de la mort, qui est au cœur de son travail artistique. « Ça m’a nourri », ajoute-t-il, et « ça me rassure ». Face à ces hommes et ces femmes assoupis pour l’éternité, « ça me fait moins peur de mourir ».

Vidéo : visite dans l’exposition « Les Immortels »

Exposition « Les Immortels » (Paris – PhotoSaintGermain – 2024)

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